Un récit des références

(surtout celles de Simon Dumas)

Claire Côté, professeure de lettres au cégep Lévis-Lauzon m’a fait découvrir cet unique livre de Jacques Geoffroy, premier contact avec la Mercury Meteor.

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19 ans plus tard, je me procurais une Mercury Meteor 1963 manufacturée en Ontario. Elle fut revendue après le tournage qui eut lieu à Québec en août 2017.

Trois ans auparavant, j’avais écrit deux poèmes inspirés de mes recherches portant sur la version américaine de cette voiture.

Héritière spirituelle de la Medalist, mille neuf cent cinquante-six
sœur d’adoption de la Monterey
Mercury Meteor, première génération
mille neuf cent soixante et une
grosse voiture.
Deux ou quatre portes. Deux ou trois vitesses, une quatrième (overdrive) en option.
De deux à six feux arrière, trois de chaque côté pour le modèle supérieur.
Meteor 600
Meteor 800
Monterey haut de ligne (auparavant d’entrée de gamme)
Six cylindres penchés, un baril, cent trente-cinq chevaux vapeurs
Différents volumes de huit cylindres, disposés en V Le plus puissant trois cent quatre-vingt-dix pouces cubes de volume
trois cent trente chevaux-vapeur
deux cent cinquante kilowatts.

Deuxième génération, mille neuf cent soixante-deux et soixante-trois : 
assemblée à Dearborn, Michigan et Kansas City, Missouri
Perd une taille, passe de grand à moyen format. Ford Fairlane a partagé son châssis avec la Meteor en mille neuf cent soixante-deux, version élargie de celui de la
Ford Falcon
Deux ou quatre portes
Deux ou quatre vitesses, automatique ou manuelle Six ou huit cylindres allant de cent soixante-dix à deux cent soixante pouces cubes de cylindrée.
Mille neuf cent soixante-quatre et soixante-cinq, pas de modèle moyen offert par Mercury, la Ford Comet occupe le créneau.
Mille neuf cent soixante-six, le nom Comet passe de Ford à Mercury.
En fait, la même voiture.

Ces poèmes, écrits à Mexico, paraissent en 2013 dans un livre qui porte le nom du personnage principal du Désert mauve, Mélanie.

À Mexico où j’étais en résidence, j’ai dégoté sept exemplaires d’El desierto malva, la version mexicaine du roman de Brossard.

Un film argentin que j’avais vu au cinéma là-bas avait alors fortement inspiré ma démarche d’écriture.

Seul mon père lisait le blogue que je tenais alors que j’étais là-bas.

J’avais constitué un groupe de femmes à qui j’avais demandé de lire le roman et de se plier à quelques exercices d’écriture. Lyliana Chavez et Mariela Oliva avaient accepté de se plier au jeu.

C’est là-bas également que je fis des recherches sur la Mercury Meteor. J’ai découvert que la voiture est ancrée dans l’imaginaire d’une génération, mais au Canada seulement.

Je suis trop jeune pour avoir connu la grande époque du design automobile que furent les années 60. Dans ma famille, nous avions plutôt une Ford Tempo (jumelle de la Mercury Topaz) aux lignes beaucoup moins inspirantes, mais si elle est aussi laide, c’est la faute du vent.

In December 1978, wind tunnel testing began on the Tempo, with more than 450 hours of testing resulting in more than 950 different design changes.

Ce vers que j’ai écrit, « dressé pour la prédation », est quasiment copié d’un poème de Carl Lacharité tiré de sa suite poétique Le vivant, un texte que j’ai entendu maintes et maintes fois puisqu’il a servi à une déclinaison de spectacles et de performances produits par Rhizome et présentés un peu partout entre 2009 et 2018.

Par le gel et par le sel repose la fougère dans sa géométrie obscure, plantant ses racines dans le secret intime des morts. Leur puissance remue en elle : c’est la naissance de l’eau, éparpillée, toujours renouvelée. Ça réclame une naissance, un autre lieu et tout le visible, pli après pli. Ça réclame des lignes, des formes, qui pourraient achever une ligne, une forme dressée devant la prédation. Que faire de tout cet abandon, si près du corps, imposant le paysage?

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Qui a dit que traîner sur YouTube est une perte de temps. J’y ai rencontré Fellini au travail. Plateau impressionnant, personnage inspirant.

Un mariage fellinien, avais-tu dit.

Et nous avons dansé sur de la musique de Philippe Katerine.

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J’ai essayé d’aborder, bien maladroitement, ce sujet du male gaze dans le cinéma. En voici un exemple que je trouve à la fois loquace et poétique.

Et tu as parlé de Va et nous venge de France Théoret dont les écrits tracent une diagonale dans le ciel du 20e siècle.

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Le 5 juillet 2016 — avec Marco Dubé, Geneviève Allard, Marc Doucet — nous avons discuté. De littérature, d’amour, d’enfance, d’adolescence et du Désert mauve.

En 2013, je décrochais une bourse du Conseil des arts du Canada pour écrire un scénario de cinéma à partir du Désert mauve. Dans le projet que j’avais présenté, il y avait le personnage de la traductrice, Maude Laures, trouvant le livre de Laure Angstelle dans une bouquinerie de Montréal et décidant de le traduire. Bien vite, en cours de route, je me suis rendu compte que ça ne m’intéressait pas de traduire le récit du roman de Brossard tel quel. Mon projet n’était pas d’adapter un roman au cinéma, mais d’y transposer les processus qui y sont décrits. Des processus de traduction qui, dans mon scénario, deviennent des processus de création intertextuels et interdisciplinaires. Ainsi, c’est un scénario de film-performance que j’ai écrit, sorte de mode d’emploi guidant une équipe de cinéma parcourant la route entre Québec et Tucson. En chemin, ils discutent, se préparent pour ce chantier qu’est la réalisation d’un film. Un film qui aurait tout aussi bien pu s’intituler Nous sommes Maude Laures. Un film à venir qui est toujours en quête d’une réalisatrice.

Ce n’est pas dans un projet de long métrage que nous nous sommes lancés ensemble, mais dans un projet de spectacle qui allait convier les codes de la conférence littéraire, du théâtre et du cinéma. De toute manière, nous aurions besoin de personnages. Au sujet du casting, de l’adolescente que nous devrions choisir pour incarner (le mot n’est pas trop fort) Mélanie, du risque réel de ne pas trouver « la bonne », tu as dit « Mauvais visage, mauvais corps déconstruisent en partie le film ». Je n’ai pu m’empêcher de penser alors à la déception, voire la colère, de Duras lors de la sortie de l’adaptation de L’amant par Jean-Jacques Annaud. Une déception qui la poussera à réécrire cette histoire en y ajoutant des notes de bas de page « en cas de film » :

… il ne faudrait pas que l’enfant soit d’une beauté seulement belle. Cela serait peut-être dangereux pour le film. Il s’agit d’autre chose qui joue en elle, l’enfant, de “difficile à éviter”, d’une curiosité sauvage, d’un manque d’éducation, d’un manque, oui, de timidité. Une sorte de Miss France enfant ferait s’effondrer le film tout entier. Plus encore : elle le ferait disparaître. La beauté ne fait rien. Elle ne regarde pas. Elle est regardée.

Tiré d’une note de bas de page de L’amant de la Chine du nord de Marguerite Duras

Nous avons beaucoup parlé du casting, anticipé ce visage, espéré les bons contours, la bonne expression, dynamique, énergie. Si Jean-Jacques Annaud a pu auditionner près de 7000 jeunes filles, il était évident que nous n’avions pas ces moyens. Nous avons été très très chanceux.

Il y avait cette question du tatouage de Mélanie. Je n’aimais pas l’idée d’un faux tatouage. Je t’en ai parlé. Plutôt que de faire croire à un vrai tatouage qui serait en fait un décalque, je voulais montrer que l’un d’entre nous (de l’équipe Maude Laures), pas nécessairement celle qui incarnerait Mélanie, s’est fait réellement tatouer le grand sphinx. J’ai pensé que ce devrait être toi. Je t’en ai parlé, j’ai argumenté, tu as refusé. Bien sûr, ma demande était déraisonnable, mais la discussion que nous en avons tirée fut fort stimulante.

Puis le tournage a commencé.

Pas d’un long métrage, mais de quelques scènes de cinéma destinées à être intégrées à notre projet de spectacle. La seconde journée de tournage était consacrée à la scène du téléviseur.


Pour alimenter le téléviseur en images, nous avions choisi une vidéo d’archive sur YouTube montrant des soldats dans le désert de l’Arizona marchant vers un champignon de poussière. Un autre clip, que nous n’avions pas sélectionné, y succéda automatiquement.

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C’est à Bruxelles, où je travaillais sur un autre projet, que j’ai rapproché en esprit le moteur à explosion et l’atome.

Il faut dire que mon imaginaire était déjà fortement chargé de ces expansions d’atomes dont la puissance se situe à une échelle inimaginable, obscène.

Le contraste est fort avec ce poème calme et froid comme une pierre la nuit de J. Robert Oppenheimer :

It was evening when we come to the river
with a low moon over the desert
that we have lost in the mountains, forgotten,
what with the cold and the sweating
and the ranges barring the sky.
And when we found it again,
in the dry hills down by the river,
half withered, we had hot winds against us.
There were two palms by the landing;
the yuccas were flowering; there was
a light on the far shore, and tamarisks.
We waited a long time, in silence.
Then we heard the oars creaking
and afterwards, I remember,
the boatman called to us.
We did not look back at the mountains.

Celui-là même qui avait annoncé que l’effet visuel de la bombe serait tremendous.


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Le 21 mai dernier, tu m’écrivais dans un courriel que ton dernier message pourrait être : « Je suis à la Brasserie Outremont en attente de Hugo Amaral, le traducteur portugais du Désert mauve. Et je suis en train de lire un article de Caroline Ferrer intitulé Traduction, fission et trahison. L’hologramme de J. Robert Oppenheimer dans Le désert mauve de Nicole Brossard. »