Avant Mélanie

16 avril 2010

Bonjour Nicole,

Je suis à Mexico où on m’accueille en résidence d’écriture. Depuis maintenant sept ans je vis avec Le désert mauve toujours présent dans un coin de mon esprit. J’en parle autour de moi. Je fonde mon nouveau projet d’écriture sur le personnage de Mélanie. Je veux matérialiser l’image mentale que j’en ai. Je cherche dans Mexico une Mélanie possible. Et une Angela Parkins aussi et une Grazie. Enfin bref, je t’écris pour te dire que ce faisant je distribue à la volée (pas tout à fait, mais j’aime l’expression) des copies d’El desierto malva. Je voulais aussi te dire deux choses :

  • encore aujourd’hui, on trouve assez facilement El desierto malva à Mexico. J’en ai acheté trois copies neuves et une usagée (après seulement trois bouquineries).
  • je crée de nouvelles fans de Nicole Brossard. Notamment Lyliana Chavéz, vingt-quatre ans, jeune militante féministe qui me disait pas plus tard qu’avant-hier qu’elle veut faire un travail universitaire sur ton roman.

Voilà, je voulais simplement te dire.

Je t’embrasse,

Simon

 

13 mai 2010

Cher Simon,

Plaisir de te lire et de te savoir à Mexico où je t’imagine travaillant très bien.

Merci pour tes mots sur Le désert mauve. Je suis étonnée qu’on trouve encore facilement El Desierto malva et si jamais tu mets la main sur deux ou trois autres exemplaires, je te les rachèterai volontiers.

Tu trouveras à ton retour un exemplaire du Désert mauve en livre de poche que Typo vient de publier. Je te le posterai avant mon départ dans dix jours pour l’Espagne, Namur et Paris.

Je me réjouis de cette lecture que tu organises à Québec le 20 octobre.

En espérant qu’un jour tu puisses mettre en images ta lecture du Désert mauve.

Bon séjour, bonne écriture. Et au plaisir de te lire en poésie ou en prose.

Chaleureusement,

Nicole

 

14 mai 2010

Chère Nicole,

Au sujet de l’édition Typo du Désert mauve, je dirais qu’il était temps! Elle sera critique cette édition? C’est toujours le cas chez Typo c’est ça? En tout cas, j’ai bien hâte. Je me sens un peu loin du milieu universitaire maintenant, mais je suis quand même curieux de voir si quelqu’un que je connais y a travaillé! Je dis que je me sens loin du milieu universitaire, mais je me rends de plus en plus compte de l’influence importante qu’ont encore aujourd’hui mes études sur mon travail que ce soit d’écriture ou de mise en scène. En cela, je veux dire que provenant de la littérature, je me distingue nettement de mes camarades venant du théâtre ou de la vidéo.

Oui, je tâcherai de racheter d’autres copies d’El desierto malva. Je vais aussi essayer de le trouver en anglais.

Je te souhaite un bon voyage. Quand seras-tu à Paris? J’y serai du 12 au 20 juin. Je dois mettre ma résidence entre parenthèses pour aller présenter notre (Rhizome) projet mexicain à festival d’arts numériques à Enghien-les-Bains (bainsnumeriques.fr/). Ce pourrait être agréable de s’y rencontrer!

Un abrazo, dos besos,

Simon

 

10 juin 2010

Chère Nicole,

El desierto malva n’est peut-être plus si facile à trouver à Mexico. Je crois en effet que j’ai raflé déjà une bonne partie du stock mexicain. En tout cas du centre-ville de Mexico. À la librairie culturelle de la FONCA, j’ai acheté les trois copies qu’ils avaient. J’en ai trouvé deux autres dans des bouquineries. Ceci dit, je n’en rapporterai pas beaucoup au Québec, je les distribue. J’en ai prêté une copie et donné trois autres. Je vais essayer d’en ramener deux, une pour toi et une pour moi.

Les gens à qui j’ai « fait lire » Le désert mauve ont tous été marqués par cette lecture. J’ai, entre autres, demandé à une étudiante et à une philosophe de choisir un personnage, de me le décrire, d’imaginer une rencontre avec ce personnage, puis un dialogue. Je suis en train de traduire.

J’ai aussi fortement conseillé à une amie de Québec de se procurer le livre et de le lire. Ce qu’elle fit. Elle le lut en une nuit, voici ce qu’elle m’écrivit le lendemain :

Simon,

j’ai acheté Le désert mauve hier soir. Il y en avait une seule copie dans la section « Littérature québécoise » de la librairie. Je suis rentrée chez moi. J’étais très fatiguée. Je comptais me rendre directement au lit. Mais j’ai décidé de me couler un bain. Les pieds dedans, je me suis souvenue du livre. Je suis sortie de la salle de bain pour aller le chercher au fond de mon sac laissé dans l’entrée. J’avais oublié que mes fenêtres étaient grandes ouvertes.

J’ai plongé dans le bain avec le livre. Dès les premières pages, j’ai senti mon corps tout entier absorbé par le désert. C’était une opposition singulière l’eau et le sable. Sur et sous ma peau.

La veille j’écrivais à Neri et Georgina et parlais à Julia de la relation entre le corps et l’imaginaire, entre le réel et l’écriture : le rapport dans l’épistolaire entre le physique et l’imaginaire, le rapport à l’autre à travers l’écrit. Ainsi j’avais frissoné au « Je ne peux tutoyer personne. » Cette phrase résumait le fond de ma reflexion.

J’ai avalé le reste du livre entre deux tasses de thé, calée dans les coussins de mon ottoman.

J’avais oublié ma résolution de me coucher tôt.

J’avais oublié de garder mon BlackBerry à proximité: les messages urgents de mes collègues sont restés sans reponse.

Ce matin, le nuage de grisaille qui me suivait depuis quelques jours s’est un peu dissipé. Il faut dire que dans le monde réel aussi, le soleil est revenu après une semaine de pluie.

J’ai reçu l’appel d’une amie chère de retour d’un pélerinage en Asie. Elle m’a demandé où j’en étais dans mon écriture. Je lui ai répondu que mon ordi était mort soudainement avec tous mes textes. Mais que je pensais pouvoir les retrouver. Quelque part dans au milieu d’un désert.

Le désert urbain de Mexico. Le désert d’asphalte de la route. Puis le désert… de Sonora. Je ne sais pas s’il est mauve ou jaune.

Il me fait la moue à distance. Me rapproche de ne plus me souvenir de lui. Nous nous sommes déjà rencontrés. En Arizona. À Tempe. Quand le chauffeur de taxi avait refusé de m’amener à Phoenix, le soir, malgré tout l’argent que je voulais bien lui offrir. Il disait que c’était trop dangereux. Surtout pour une jeune femme seule. Et que Phoenix, le soir, c’est vide… pour ne pas dire désert, ça serait trop facile. Il préférait m’amener à Scottsdale. Me laisser à un centre d’achat, à proximité des terrains de golf. Sur le chemin nous avons vu le soleil descendre sur les roches et se coucher parmi les cactus. J’avais passé la soirée à flâner dans des petites galeries et les boutiques d’artisanat. J’avais découvert ce peintre du Nouveau Mexique, dont le nom m’échappe maintenant. J’ai envie de dire Garcia. Mais ça aussi, ça serait trop facile. Je ne sais plus. Cependant je me souviens de ses toiles. Des stationnements. Des centres d’achat. Des lignes droites et sèches. Puis des portraits. Percutants. Réels. Un autoportrait.

J’avais demandé au galeriste pourquoi les stationnements. Il pensait que je voulais trouver une place pour mon auto. M’a indiqué le chemin pour me rendre au centre d’achat. Je lui ai expliqué que je voulais parler des peintures. Il semblait étonné que quelqu’un s’intéresse à l’art. Il devait être habitué de recevoir des questions sur les restos à proximité et les boutiques de souvenirs. Il m’a parlé du réalisme dans la peinture américaine. De la transformation des paysages sudistes dans les années 50. Le béton qui pousse dans le désert. Les lignes droites sur les courbes. Le laid. Le dépourvu du sens. La création de l’homme qui domine l’homme, l’avale. Les longues ombres sur l’asphalte.

Longue ombre d’un homme.

L’homme long.

Voilà, j’ai encore l’impression de revenir vers ce texte.

Bref, Simon, je pense qu’on a un ami en commun. Qui nous attend quelque part à 14 heures de Mexico.

Quand est-ce qu’on va le voir?

 

Elle n’était pas chaude à l’idée que je t’envoie ce message, entre autres à cause des fautes de français qu’elle y a laissées. Elle m’écrit :

je serais un peu gênée que tu transfères mon courriel, je ne m’étais même pas relue, il est bourré de fautes. D’un autre côté je n’ai pas envie de le corriger, on dirait qu’il y a peut-être un sens à ma dyslexie: dans le rapprocher au lieu de reprocher et le faner au lieu de flâner. Toute poésie là-dedans étant involontaire. Puis je trouverais que je triche si j’enlevais les erreurs. Je n’aime pas les mises en scène. (mensonge)

J’ai donc hésité et puis j’ai trouvé trop triste de te priver de ce plaisir. Quelques jours plus tard, elle m’écrivait encore : « J’ai lu La nef des sorcières en fds. Nicole Brossard est ma nouvelle idole ».

Ces temps-ci, je suis un générateur de fans de ton œuvre. Ça me fait plaisir!

Je pars pour Paris demain.

Simon

 

11 juin 2010

Mon cher Simon,

Je ne sais si je suis dans la fiction de la fiction mais le présent de ton message m’émeut au sens de ce qui fait bouger la vie en nous. Je ne sais oû est cette zone mais elle est vitale pour ce qui est de la rencontre mystérieuse de l’amour de la vie et de la mélancolie qui circule dans nos veines.

Et ce particulièrement aujourd’hui oû (problème d’accent) nous allons à Charleville lire des poèmes sur la tombe d’Arthur Rimbaud. Nous partons dans une heure sur la Meuse.

Je rentre à Paris le 14 au soir. Au marché, il y aura des jeunes poètes catalans intéressants que j’ai rencontrés à Palma.

Merci pour tes mots et ceux de ton amie.

Au plaisir,

Nicole

 

22 avril 2011

Chère Nicole,

Je me marie. Je pense que tu n’as pas rencontré Julia. Pas encore. Nous sommes ensemble depuis presque quatre ans. Je l’ai rencontrée à Québec alors qu’elle faisait une sorte d’échange Ontario-Québec. Elle était alors étudiante à l’Université de Trent en women’s studies. Je lui ai tout de suite parlé de toi, lui ai fait découvrir Mauve Desert. Elle a plus tard dégoté un magazine féministe ontarien titrant en première page «This is what a Quebecois feminist looks like» avec ta photo. J’ai depuis perdu le magazine. Nous sommes tristes. Julia, c’est mon amour et ma féministe ontarienne.

Donc, nous nous marions. Ce sera le 6 août à l’Île-aux-Coudres. Nous avons loué le motel Lislet, tout le motel. Il est situé à la pointe ouest de l’île. L’endroit est magnifique.

Julia et moi, chacun de notre côté, nous demandons à des amis et/ou des gens que nous admirons et/ou les deux de participer à une sorte de cérémonie-spectacle, genre de cabaret-mariage où des poètes, des musiciens et d’autres artistes feront à tour de rôle une petite prestation de circonstance. Voudras-tu, pourras-tu y participer? Ce serait un grand honneur!

Bien sûr, il y aurait pour toi une chambre au motel.

Amitiés,

Simon

 

27 avril 2011

Mon cher Simon,

Quelle belle invitation et que de joie en perspective.

C’est avec plaisir que j’accepte ton invitation et que je serai au rendez-vous.

Comme tu sais, Mélanie du Désert mauve conduit sur les autoroutes mais pas moi.

Je trouverai bien une solution (surtout entre Québec et l’Ile) et j’ai le temps d’y penser.

J’attendrai de tes nouvelles et je me réjouis de faire la connaissance de Julia et de te revoir en jeune marié.

Mes amitiés,

Nicole

 

2 mai 2011

Nicole,

Que je suis heureux que tu acceptes/puisses venir!

Pour le transport à l’Isle-aux-Coudres, une occasion se présentera certainement.

Je ne sais pas encore exactement quel rôle tu joueras dans notre cabaret-mariage, je te donnerai plus d’information à ce sujet au mois de juin.

Je te rassure, ça ne sera rien de bien prenant.

Julia se réjouit tout autant de faire enfin ta rencontre. Elle a beaucoup entendu parler de toi et de ton œuvre depuis qu’elle m’a rencontré.

Je t’embrasse,

Simon

 

22 mai 2011

Cher Simon et chère Julia.

Ce fut un plaisir de vous voir le 6 mai dernier.

J’ai bien reçu votre faire-part.

Je viendrai, possiblement accompagnée, sinon : hélas! je ne crois pas avoir l’esprit de partage (de la chambre).

J’en suis désolée. Appelons ça privilège des effets du temps.

Ce sera pour la nuit du 6 août.

Aucune restriction alimentaire

Je réponds par courriel car je n’ai pas l’adresse pour la fiche.

J’ai très hâte. En attendant, je file mardi vers Paris. Retour fin juin.

Je vous embrasse et bon début d’été

Nicole